N° 8151 – Mars 2023

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Nations et Nationalités

L’histoire des nationalités européennes au XIXe siècle peut apparaître comme un sujet brûlant, que le temps n’aurait pas refroidi, tant les références à cette époque envahissent encore le débat public sur la nation aujourd’hui. En France, l’école de la IIIe République est sou- vent vantée pour avoir inculqué l’amour de la patrie auprès des enfants, tandis qu’en Italie, le siècle du Risorgimento est célébré comme ayant consacré l’unité du pays, au terme d’un processus dont on retient surtout les étapes et les visages glorieux. Dans un registre différent, l’Allemagne s’est longtemps interrogée sur la supposée “voie particulière” (Sonderweg) de sa construction nationale au XIXe siècle qui l’aurait conduite au nazisme, tandis qu’en Espagne la thèse d’une nationalisation faible ou ratée, qui expliquerait un prétendu échec de la modernisation du pays, continue de faire débat. Pour- tant, les recherches récentes tendent à nuancer et complexifier ces idées reçues sur notre passé : ce sont ces nouvelles problématiques que nous mettons en avant dans ce numéro. Si l’on croit tout savoir de la construction des États-nations en Europe, il n’en reste pas moins que plusieurs approches historiographiques ont profondément renouvelé cet objet d’histoire au cours des dernières décennies. Elles ont conduit à s’éloigner des perspectives traditionnellement centrées sur les chefs d’État : ainsi, au lieu du face à face bien connu entre Napoléon III et Bismarck, longtemps mis en lumière dans les travaux sur la guerre franco-allemande de 1870, on étudie davantage aujourd’hui le rôle des combattants français et allemands, des volontaires internationaux mais aussi des civils, acteurs d’un véritable conflit transnational. Plus largement, les recherches actuelles s’at- tachent à rendre leur place aux acteurs ordinaires de la construction nationale et à montrer le rôle central des peuples dans ces processus. Les femmes constituent d’autres protagonistes oubliés de l’histoire de la construction des États-nations, à une époque où, paradoxalement, on crée des allégories féminines pour incarner les nations européennes, de Britannia à Germania en passant par Helvetia et Marianne. Même privées de droits, les Européennes ont contribué à faire les nations, par exemple en participant aux barricades de 1848, mais aussi en dénonçant les limites de constructions poli- tiques qui tendaient à les exclure. Leur implication rappelle également que l’émergence des États-nations au XIXe siècle, loin d’être un processus linéaire et inéluctable, a donné lieu à des débats, des combats et des projets variés, qui ont contribué à façonner la modernité politique de l’Europe. Enfin, l’idée que les communautés nationales auraient été homogènes et endogames au XIXe siècle a été remise en cause. Le tournant global et connecté pris par l’historiographie depuis une trentaine d’années a permis de porter un regard nouveau sur des phénomènes qui avaient été surtout étudiés à l’échelle nationale. En analysant ces processus à d’autres échelles, du local au global, on constate que les migrations, les brassages, les hybridations culturelles et les circulations politiques qui marquent le long XIXe siècle ont eu des répercussions considérables sur la naissance et la structuration des États-nations, et que l’histoire de ces derniers ne peut s’écrire sans prendre en compte ces phénomènes transnationaux.

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