N° 8133 – Février 2020
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Les Frontières
Alors que le monde n’a jamais été aussi perméable à la circulation des personnes, des biens et des images, les frontières non seulement ne s’effacent pas, mais connaissent dans plusieurs points du globe un processus de fermeture et de durcissement. Des différends frontaliers demeurent, irrésolus, dans le monde ; des barrières et des murs sont érigés ici et là. Il est donc plus que jamais utile de définir clairement la frontière, ou plutôt les frontières.
L’histoire et la géographie des frontières s’enracinent dans un temps long et il serait erroné de faire de la notion de frontière une invention occidentale, même si sa généralisation a été accélérée par l’entreprise coloniale. Des règlements de frontières datant du troisième millénaire avant notre ère ont en effet été retrouvés en Mésopotamie et dans l’Égypte pharaonique. Les Romains ou les Chinois ont construit de colossales murailles protectrices dès le premier millénaire de notre ère.
Ce dossier met en lumière certaines fonctions invariables qui s’exercent sur la ligne frontière – souveraineté et identité nationale, protection et défense, transit et échange, passage et migrations alternées – et surtout l’extrême variété des frontières en fonction du degré d’ouverture ou de fermeture, du type de tracé (agréé ou imposé et contesté) et du support (terrestre ou maritime, matériel ou immatériel, naturel ou artificiel). Les frontières ne sont pas des lignes abstraites : elles sont délimitées, démarquées, tracées et résultent donc de choix politiques ou idéologiques mais aussi de mesures techniques; elles sont mouvantes et s’y exercent des dynamiques. Elles ont des effets durables sur les sociétés et les individus, même quand elles disparaissent, et sont des marqueurs symboliques.
Les frontières, pour certaines arbitraires ou imposées, peuvent faire l’objet de forts contentieux entre les États et de nouveaux terrains de discorde ont émergé, comme l’Arctique ou le cyberespace, pourtant imaginé sans frontières. Leurs formations ou fluctuations ont entraîné des déplacements forcés et des migrations tragiques et douloureuses. Mais elles peuvent aussi être une ressource, pour jouer des différences (prix, taux de change, salaires). Des interfaces et de vastes conurbations transfrontalières sont actives dans plusieurs continents. Ce numéro de la Documentation photographique met donc également l’accent sur les zones frontalières qui sont, et parfois simultanément, des zones de conflit difficiles à contrôler et à sécuriser, et des zones d’échange et de négoce. Des frontaliers viennent travailler, commercer, échanger dans ces espaces, engendrant de possibles processus de paix à l’échelle locale. Plus largement, des frontières se révèlent donc être des ponts entre les cultures, un horizon d’espoir et des lieux d’interactions à étudier.