N° 8155 – Novembre 2023
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La société d’ancien régime
L’histoire de la société française d’Ancien Régime a été durablement marquée et dans une certaine mesure biaisée par un débat entre une approche centrée sur les ordres, faisant la part belle aux catégories juridiques, et une analyse en termes de classes, privilégiant les facteurs économiques et les niveaux de fortune. S’il a nourri l’historiographie des années 1960 et 1970, ce débat a perdu aujourd’hui de sa pertinence au profit d’études centrées sur les corps et les communautés qui structurent la société, et attentives aux parcours individuels.
En rendant compte des renouvellements récents, ce volume s’attache à restituer la complexité de la société d’Ancien Régime et les mobilités qui participent à ses évolutions, tout en rappelant le poids des contraintes conjoncturelles, qu’elles soient environnementales, économiques ou politiques, comme celui des conceptions religieuses et de l’imaginaire social. Au fil des pages se révèle ainsi un éventail de profils sociaux, du paysan manouvrier aux limites de la survie au grand fermier prospère, de l’évêque à la moniale, de l’artisan au bourgeois, du domestique à ses maîtres, du hobereau de province au noble courtisan accumulant fortune et honneurs, du grand négociant des ports atlantiques à l’esclave des îles à sucre. Ce monde de l’ancienne France ne saurait toutefois être envisagé comme une simple juxtaposition de types sociaux, tant il est traversé par des liens de dépendance, de crédit, de fidélité mais aussi par des conflits et des fractures.
Les contextes sociaux sont par ailleurs à resituer dans des espaces divers le royaume et ses prolongements ultramarins, la province, le village, la paroisse, le quartier, la rue, la maison, sans oublier la famille où se jouent la place de chacun, son intégration ou sa marginalisation. Si la naissance détermine largement les destins individuels, cette société n’est pas immobile. Les possibilités d’ascension sociale ainsi que, les risques de déclassement existent. Le XVIe siècle est marqué par une certaine fluidité et la possibilité pour les bourgeois enrichis d’accéder à la noblesse. Le Grand Siècle apparaît par contraste comme un temps de relative fermeture alors que la croissance économique du XVIIIe siècle rend possible des enrichissements, tout comme des faillites spectaculaires mettant à mal l’idéal de stabilité sociale qui caractérise l’Ancien Régime.
Au-delà de ces dynamiques séculaires, l’État monarchique a une incidence déterminante non seulement sur les représentations et les titulatures, mais aussi sur les trajectoires sociales. Le service de l’État apporte la reconnaissance sociale ; le monde des offices offre d’importantes possibilités de promotion. L’instrument essentiel que constitue la fiscalité, la catégorisation des contribuables, le choix enfin de faire peser prioritairement la charge de l’impôt sur les uns plutôt que sur les autres sont une autre prérogative déterminante de l’État monarchique.
Sans proposer une étude exhaustive, ce numéro de la Documentation photographique entend souligner la nécessité de reconsidérer à nouveaux frais une société d’Ancien Régime qui se révèle plurielle et travaillée, tout au long des trois siècles étudiés, par des dynamiques profondes.